Guide “Appliquer la systémie à la conception d’un service numérique”

6. En phase de plannification

Bonnes pratiques de la phase plannification

  • Définir les enjeux du projet et intégrer au cahier des charges des objectifs ODD ainsi que le respect des limites planétaires pour construire une trajectoire durable du service numérique
  • Définir les parties prenantes du projet et actants (utilisateurs, parties prenantes, infrastructures, environnements) et leurs relations dans lequel s’inscrit le service.
  • Définir les enjeux économiques, en intégrant une dimension de soutenabilité (exemple business modèle durable)

Les outils de la phase de planification

Nous avons identifié les outils clés de conception systémiques, permettant aux concepteurs de produits/services numériques, d’intégrer cette compréhension du système dans lequel ils s’inscrivent. Ces outils sont énumérés ci-dessous sous forme de fiche outil. Cette rubrique a une vocation évolutive et sera alimentée au long court par les travaux des membres ou réseau de Designers Éthiques.

Limites planétaires

Les limites planétaires sont un concept scientifique introduit par Johan Rockström et son équipe en 2009 (Stockholm Resilience Centre, Nature). Il s’agit d’un cadre définissant les seuils environnementaux à ne pas dépasser, il existe 9 limites — par exemple pour le climat, la biodiversité, l’utilisation de l’eau douce ou les cycles biogéochimiques — afin de préserver la stabilité et la résilience de la Terre et de maintenir des conditions sûres pour l’humanité.

Cartes des actants

Un actant est tout élément, humain ou non-humain, qui joue un rôle actif dans un système ou une action. Contrairement à l’acteur (plutôt réservé aux humains), l’actant inclut aussi des objets, technologies, règles ou infrastructures, dès lors qu’ils influencent ou orientent l’action. C’est une notion utile pour analyser un système de manière globale, en tenant compte des interactions entre humains et non-humains.

Matrice business modèle durable

Un business modèle durable est un modèle d’affaires qui concilie viabilité économique, responsabilité sociale et respect des limites planétaires. Cela signifie de générer des revenus de manière pérenne, de réduire les externalités négatives (pollution, gaspillage, inégalités…) et de contribuer positivement à la société et à l’environnement. Pour aller plus loin : lien externe.

[Focus] Intégrer les limites planétaires et seuils sociaux

Les limites planétaires

Créé en 2009, le concept de « limites planétaires » vise à définir les grands équilibres naturels assurant un espace de vie préservé pour l’humanité.

 “Les limites planétaires sont les seuils que l'humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir durablement vivre dans un écosystème sûr, c’est-à-dire en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l'environnement planétaire” (Wikipédia).

Comment le concept des neuf limites planétaires a-t-il émergé ?

 Les préoccupations concernant les impacts humains sur l’environnement et les risques de perturbations majeures des écosystèmes ne datent pas d’hier :

●  Dès 1972, le rapport Meadows mettait en garde contre les conséquences néfastes d’une croissance économique illimitée, incompatible avec les capacités de la planète.

●  En 2009, le Stockholm Resilience Centre introduit le cadre des neuf limites planétaires, définissant un espace écologique sûr pour l’humanité. Dépasser ces seuils pourrait entraîner des changements irréversibles dans les grands équilibres naturels.

●  En 2015, ce modèle est actualisé avec des précisions sur plusieurs limites clés, comme l’érosion de la biodiversité, les cycles du phosphore et de l’azote, ou encore l’occupation des sols. Par la suite, deux nouvelles dimensions sont intégrées : l’introduction de nouvelles entités dans la biosphère (produits chimiques, plastiques, etc.) en 2021, et l’utilisation de l’eau verte (humidité contenue dans les sols) en 2022.

●   Enfin, en 2023, une version révisée du cadre est publiée. Pour la première fois, toutes les limites sont quantifiées, avec l’ajout de nouveaux indicateurs tels que la biodiversité fonctionnelle, l’eau bleue, les aérosols atmosphériques, ou encore les entités nouvelles, offrant une vision plus précise des seuils critiques à ne pas franchir.

Quelles sont les limites qui ont été dépassées ?

Les chercheurs ont établi que sept des neuf limites sont dépassées à ce jour :


●  le changement climatique ;
●  l’érosion de la biodiversité ;
●  la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore ;
●  le changement d’usage des sols ;
●  le cycle de l’eau douce (eau bleue et eau verte) ;
●  l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère ;
●   l’acidification des océans

Deux limites ne sont pas encore dépassées : l’appauvrissement de la couche d’ozone et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

Exemple d’application des limites planétaires à un service numérique

Intégrer la contrainte des limites planétaires dans la conception d’un service numérique revient à penser ce service non seulement en termes de performance et d’usage, mais aussi en termes d’empreinte écologique et sociale globale. Autrement dit : concevoir un service qui reste dans l’“espace sûr et juste” décrit par le Doughnut de Kate Raworth (entre besoins humains et limites planétaires).

Le numérique, comme vu précédemment, génère des impacts environnementaux et sociaux tout au long du cycle de vie : Fabrication > Usage > Fin de vie au travers des réseaux et infrastructure, ressources et extraction, droits sociaux, consommation énergétique…etc.

 Avec une contribution au dépassement des limites planétaires en particulier :

●  Impact sur le changement climatique par les émissions de gaz à effet de serre
●  Épuisement et extraction des ressources abiotiques (minerais, métaux)
●  Epuisement ressources abiotiques et primaires (pétrole, gaz)
●   Pollution de l’eau par entrant chimique (extraction métaux)

Pour concevoir un numérique durable nous devons nous inscrire dans le plafond environnemental et le plancher social. Plusieurs leviers existent et peuvent être mis en place tout au long de la conception, il est recommandé de mentionner cette condition au commencement du projet comme bonnes pratiques à suivre dans le cahier des charges :


1. Partir du besoin réel

• Se demander : le service répond-il à un besoin essentiel ou crée-t-il un usage superflu ?
• Éviter la “fonctionnalité gadget” ou l’innovation pour l’innovation. Cela réduit l’empreinte dès la racine en limitant la surconsommation.


2. Appliquer la sobriété et accessibilité numérique

• Intégrer les bonnes pratiques d’accessibilité et d’inclusion.
• Optimiser la conception UX et code pour réduire la consommation d’énergie et de ressources.
• Éviter les architectures surdimensionnées (cloud, bases de données, API inutiles, IA).
• Prolonger la durée de vie des terminaux par une service sobre et simplifié.


3. Prendre en compte et analyser le cycle de vie complet du service

• Conduire une analyse ACV (Analyse de Cycle de Vie) : terminaux des utilisateurs, serveurs, réseau, stockage, maintenance, fin de vie.
• Réduire l’impact des données et le stockage permanent (penser épuration, archivage, suppression).
• Favoriser la réparabilité (à contrario de l’obsolescence programmée) et la réutilisation des composants.


4. Mettre en place des indicateurs liés aux limites planétaires

• Mesurer et piloter les impacts du service en référence à des seuils : émissions de GES (limite climatique), consommation d’eau douce, consommation électrique, extraction de ressources rares (métaux critiques), déchets électroniques.
• Relier ces métriques à des objectifs clairs de bilan carbone (ex. rester sous une empreinte carbone par utilisateur).


5. Concevoir des externalités positives

• Favoriser des usages qui réduisent les pressions sur les limites planétaires (ex. service qui incite à réduire les déplacements physiques, à partager des biens, à allonger la durée de vie des objets).
• Penser la valeur créée au-delà de l’économie : bénéfices sociaux, environnementaux, moraux.

Il est également possible d’intégrer les limites planétaires, en se projetant dans de nouveaux scénarios de société où les usages et pratiques respectent les limites physiques de la planète et les fondamentaux sociaux, notamment au travers des scénarios Transitions 2050 de l’ADEME. L’ADEME a souhaité soumettre au débat quatre chemins “types” cohérents qui présentent de manière volontairement contrastée des options économiques, techniques et de société pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Imaginés pour la France métropolitaine, ils reposent sur les mêmes données macroéconomiques, démographiques et d’évolution climatique (+2,1 °C en 2100). Cependant, ils empruntent des voies distinctes et correspondent à des choix de société différents. Ce travail a été conduit de 2019 à 2021.

Les scénarios de l’ADEME peuvent être utilisés en phase de cadrage comme contexte de « contraintes » d’un projet permettant d’intégrer des schémas sociaux/environnementaux qui respectent les limites planétaires.

Aller plus loin : études de cas à consulter

  • "Concevoir avec les limites planétaires" – (en cours)